Chers enfants,
Une fois n'est pas coutume, vous ne l'eusses soupçonné sans doute, le Bleu est une couleur faisant partie intégrante de ma personnalité. Mais non je ne suis pas aussi froide que vous pouvez l'imaginer perchée dans mon cadre, c'est bien le feu qui bouillonne dans ma marmite interne. Yes, bleu comme la lave qui coule dans mes veines. "Fleur bleue" : cela me définit. D'aucuns diraient "cucul la praline". Tant j'ai passé toute ma vie pour le souvenir d'un instant. J'ai pour preuve ce grand chagrin d'amour pour le soldat qui m'a roulé le french kiss le plus mémorable de tous les temps. "Il était mince il était beau /il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire..."*
Fleur bleue : l'expression tirerait justement son origine de l'Allemagne romantique où un jeune écrivain du nom de Novalis parle de "die blaue Blume der Romantik" (la fleur bleue du romantisme) où il raconte comment un poète médiéval, en cherchant un idéal, découvre la fleur bleue. Quant à mon soldat, était-il allemand ou français, peu importe, je crois qu'il était plutôt lorrain, un mélange des deux en quelque sorte. La légende raconte qu'il aurait traversé le Rhin à la nage avec son vélo sur le dos pour échapper aux travaux forcés en Allemagne. "Monsieur le Président/Je ne veux pas la faire/Je ne suis pas sur terre/Pour tuer des pauvres gens/C'est pas pour vous fâcher/Il faut que je vous dise/Ma décision est prise/Je m'en vais déserter"**...Tellement romantique... La grande naïve aurait pu croire n'importe quoi à l'époque. Bref, tout ce dont je me rappelle c'est que "c'était tout juste après la guerre, dans un p'tit bal qu'avait souffert, sur une piste de misère (...) Non, je ne me souviens plus du nom du bal perdu/Ce dont je me souviens c'est qu'ils étaient heureux/Les yeux au fond des yeux/Et c'était bien/Et c'était bien***.
Je ne vais pas vous refaire toute la playlist de ma jeunesse, je clos ici le propos d'autant qu'Il s'est évaporé dans la nature avec la Libération, après une correspondance enflammée. Par la suite j'ai rencontré Pépère, avec qui il a fallut que je me marie, mais ça c'est une autre histoire. Soit mon premier amour est parti avec une autre, soit il est parti la fleur au fusil. Bref paix à leurs âmes. Il en resté toutes les graines que j'ai semées dans mon jardin.

Pour me consoler, et pour vous en souvenir de votre arrière-grand père, j'ai inventé cette galette :
LA BLUETTE
Battez la pâte à galette dont je ne vous donnerez toujours pas la recette. Je peux juste vous dire que je prend une farine 100% sarrasin. Ce n'est pas si facile à faire. Vous pouvez toujours trouver des galettes natures toute faites dans le commerce, mais sachez qu'elles ne seront pas aussi bonnes que chez moi. Bien entendu, il va sans dire !
Etalez-en une louche dans la poêle bien chaude, laissez-la cuire quelques minutes avant de la retourner comme une crêpe. Cuisez-y un oeuf en miroir jusqu'à ce qu'il vous murmure que vous êtes la plus belle, saupoudrez tout autour du râpé d'emmental français. Pliez la galette en quatre comme une enveloppe renfermant une lettre d'amour, tout en laissant apparaitre l'oeuf miroir au centre. Ou en trois comme un joli lit d'épousailles...
Partez en séjour rapide en Auvergne, si pour vous l'Allemagne vous paraît loin quoiqu'il y a aussi de très bons fromages bleus là-bas. Etendez-vous-y sur la mousse puis rapportez dans votre valise un fromage bleu, bleu comme les sources qui coulent des volcans, et dont vous déposerez délicatement quelques triangles sur l'enveloppe. Rapide le séjour. Attendez qu'il fonde sous la chaleur. Le fromage bien sûr.
A l'aube descendez au potager cueillir quelques fleurs bleues qui ne vivront que le temps d'une journée et dont vous pourrez parsemer la galette : bleuets, fleurs de bourrache, fleurs de salades montées. Enfin pour le vaporeux, n'oubliez pas la petite tige chevelue du fenouil. Et pour le croquant, torréfiez quelques graines dans votre poêle qui annonceront tous les futurs petits enfants à venir.

Votre Émile brille par son absence de mille feux, pas d'inquiétude, Sydney le remplacera aisément. Et, fleur sur la galette, son saxophone soprano vous jouera un inoubliable "Petite fleur".
Un de perdu, dix de retrouvés, comme on dit !
Mémère
* Chanson "Mon Légionnaire", Edith Piaf
** Chanson "Le déserteur", Boris Vian
*** Chanson "Le p'tit bal perdu", Bourvil
Mais ma petite Nic olé tte, ne comprends-tu donc point que toutes ces belles graines bleues ne sont rien d'autre que vous tous mes enfants et petits-enfants, c'est toi aussi et parmi les plus belles bien sûr ! Et ce beau légionnaire est purement et simplement votre aïeul. En bref : "Je suis ton pèèère ! " aurait-il pu t'avoir répliqué. Olé !
Bonjour Mémère,
Ah tes amours de jeunesse...plus ou moins compliquées il est vrai, tu sais si bien les raconter!
Et quand tu parles du Bleu, couleur de ta personnalité, on a envie de devenir une de ces fleurs de bourrache au bleu si limpide , ou de salade montée de chicorée comme j'ai dans mon jardin, laissé parfois un peu trop à l'abandon...
Le feu bouillonne dans ta marmite interne, dans le souvenir de la rencontre d'un jeune et beau soldat, ton légionnaire...qui a fini par s'évaporer...
Oui mais quelles graines il a laissées! ...les graines de ton jardin, les plus belles qui fructifient et qui agrémentent désormais tes bonnes galettes!
Ton inconditionnelle
Nic olé tte